Progression de la couverture vaccinale vis-à-vis de l’hépatite B chez les usagers de substances psychoactives suivis par le Réseau des microstructures médicales d’Alsace, 2009-2012

// Evolution of hepatitis B vaccination coverage among psychoactive substances users followed by the Network of Medical Microstructures in Alsace (France), 2009-2012

Fiorant Di Nino1 (rms_alsace_dinino@yahoo.fr), Jean-Louis Imbs2, George-Henri Melenotte1, le Réseau RMS1, Michel Doffoel3
1 Réseau des microstructures médicales d’Alsace, Strasbourg, France
2 Pharmacologie clinique, Université de Strasbourg, France
3 Service expert de lutte contre les hépatites virales d’Alsace (SELHVA), Nouvel Hôpital civil, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, France
Soumis le 06.12.2013 // Date of submission: 12.06.2013
Mots-clés : Séroprévalence | Usagers de drogues | VHB | Comportement à risque | Vaccination
Keywords: Seroprevalence | Drug-users | HBV | At-risk behaviours | Vaccination

Résumé

Alors que le risque de contamination par le virus de l’hépatite B (VHB) est élevé chez les usagers de substances psychoactives, la vaccination contre ce virus reste très limitée. Notre objectif était d’évaluer le niveau de couverture vaccinale chez ces usagers, ainsi que l’impact sur cette couverture vaccinale de la formation des professionnels du Réseau des microstructures médicales (RMS) en Alsace, qui offre une prise en soin médico-psycho-sociale aux usagers de substances psychoactives au cabinet du médecin généraliste.

En partenariat avec le Service expert de lutte contre les hépatites virales des Hôpitaux universitaires de Strasbourg (SELHVA), et dans le cadre du Plan national de lutte contre les hépatites B et C 2009-2012, RMS a suivi pendant 4 ans (de 2009 à 2012) ces usagers. À la suite de la formation des professionnels, la couverture vaccinale est passée de 28% à 52% en 30 mois (p<0,001). Les résultats d’un auto-questionnaire anonyme adressé aux usagers et aux médecins généralistes du réseau ont montré que, si les principaux modes de transmission sont connus, seuls 29% des usagers de substances psychoactives les connaissent en totalité. La vaccination est associée à la connaissance de la gravité de la maladie : parmi les usagers vaccinés, 91% la jugent potentiellement grave, versus 61% parmi les usagers non vaccinés (p<0,001).

Abstract

While the risk of infection with Hepatitis B virus (HBV) is high in psychoactive substances users, vaccination against this virus is very limited in this population. The aim of this study is to assess the level of immunization coverage among psychoactive substances users, and determine the impact on vaccination coverage of the training of health professionals working in The Network of Medical Microstructures (RMS), which provides medical and psycho-social support to users of psychoactive substances in the GP’s office.

In partnership with the Expert Service against Viral Hepatitis of the University Hospital of Strasbourg, Alsace (SELHVA), and under the National Hepatitis Plan 2009-2012, RMS followed these users for four years. As a result of training of professionals, immunization coverage increased from 28% to 52% in 30 months (p<0.001). An anonymous self-administered questionnaire was sent to the psychoactive substances users and physicians of the network. The results showed that if the main modes of transmission are known, only 29% of the psychoactive substances users know all of them. Vaccination is associated with the knowledge of the disease severity: among vaccinated patients, 91% consider HVB as a potentially serious disease, but only 61% think so among the unvaccinated (p<0.001).

Introduction

En France, la vaccination contre l’hépatite B est recommandée en priorité chez les nourrissons et les personnes à risque. Elle est également recommandée chez les enfants et les adolescents non antérieurement vaccinés jusqu’à l’âge de 15 ans 1. Alors que la couverture vaccinale a augmenté de façon significative chez le nourrisson depuis le remboursement du vaccin hexavalent, pour atteindre 75% en 2011 2, elle reste faible chez les personnes à risque, notamment chez les usagers de substances psychoactives (43% en 2004 selon des données déclaratives) 3.

Dans l’enquête KABP 2010 4, dont la population cible est la population générale, une sous-analyse a été réalisée chez les personnes déclarant avoir utilisé de la drogue par voie intraveineuse au moins une fois au cours de leur vie : la couverture vaccinale déclarée dépassait à peine 50% dans cette population. On retrouve une couverture vaccinale similaire (48,8%) dans l’étude ANRS-Formvac 2009-2011 menée en Centre de dépistage anonyme et gratuit (CDAG), alors même que le vaccin était mis gracieusement à disposition au sein de la structure 5.

Cet article présente les résultats d’une recherche-action autour de l’hépatite B mise en place au sein du Réseau des microstructures médicales d’Alsace (RMS Alsace) (1), dispositif de soins et de prévention en médecine de ville à destination d’usagers de substances psychoactives, en partenariat avec le Service expert de lutte contre les hépatites virales d’Alsace (SELHVA) de l’Hôpital civil de Strasbourg.

Les objectifs de cette recherche-action étaient : (1) d’étudier l’évolution de la couverture vaccinale chez les usagers de substances psychoactives après la mise en place d’un programme de formation et une campagne de sensibilisation auprès de tous les professionnels de santé intervenant dans le réseau ; (2) de documenter les connaissances, perceptions et pratiques de la vaccination dans cette population à risque ; (3) d’identifier les freins à la vaccination pour les usagers de substances psychoactives et les médecins généralistes du réseau.

Méthode

Le réseau des microstructures (RMS)

Les microstructures médicales sont des lieux de soins polyvalents, qui ont été créés en 2000 pour répondre aux difficultés rencontrées par les patients pharmacodépendants et par leurs médecins généralistes en médecine de ville.

Le principe de ces microstructures vise à la constitution d’une équipe pluriprofessionelle de prise en charge sanitaire et sociale en un seul lieu : le cabinet du médecin généraliste. Cette équipe est constituée du médecin généraliste, d’un psychologue et d’un travailleur social qui, jusque-là, étaient dispersés au sein de plusieurs institutions. Le psychologue et le travailleur social reçoivent les usagers dans le cabinet du médecin généraliste à des plages horaires hebdomadaires fixes. Tous trois collaborent pour assurer le suivi médico-psycho-social des usagers présentant des conduites addictives. Ainsi, lorsqu’ils ont à disposition chez leur médecin généraliste d’autres compétences, la démarche des usagers s’en trouve grandement facilitée et leur état sanitaire amélioré 6. Le champ d’action de la microstructure comprend tous les troubles liés à la consommation de substances illicites, de médicaments, de cannabis, de tabac, de jeux, ainsi que les troubles nutritionnels ou liés à l’alcool.

Après proposition du médecin généraliste du RMS, l’inclusion des patients dans le réseau est volontaire et fait suite à une information sur le fonctionnement de la microstructure et du réseau (recherche). Un numéro d’anonymat est attribué à chaque patient. Des données anonymisées sont recueillies à l’inclusion, puis annuellement pour chaque patient à l’aide de trois fiches de recueil. Celle renseignée par le médecin généraliste concerne notamment les conduites addictives, les voies d’administration des substances, le recours à des traitements de substitution, les autres traitements psychotropes prescrits, les troubles psychiatriques ; les résultats des sérologies pour les virus des hépatites B et C et pour le VIH sont relevés lorsqu’ils sont documentés et transmis par les laboratoires de biologie médicale. La fiche complétée par le travailleur social concerne les conditions socioéconomiques, le statut juridique, la couverture sociale, la situation administrative, l’hébergement, les ressources financières et l’insertion professionnelle. La troisième fiche, complétée par le psychologue, porte sur les différents troubles mentaux rencontrés au cours du suivi, ainsi que leur niveau de gravité.

L’équipe de la microstructure se retrouve, chaque mois, pour une réunion de synthèse, où une stratégie de prise en soin adaptée à chaque cas est élaborée. Le pharmacien d’officine peut, au cas par cas, être sollicité en raison de son rôle lors de la délivrance des produits prescrits. Ponctuellement, le patient peut être invité à ces réunions et, selon les cas, d’autres compétences que celles du travailleur social et du psychologue peuvent y être associées (psychiatres, hépatologues…).

Les microstructures sont regroupées en réseau. C’est la coordination du réseau qui s’occupe de l’organisation des permanences dans les cabinets de médecine générale, de la circulation de l’information sanitaire, législative, psychologique et sociale, ainsi que de la formation permanente des équipes de microstructures. En outre, la présence d’un chargé de recherche et d’un comité scientifique permet à ce dispositif de soins d’évaluer en continu son impact sanitaire sur les usagers.

En 2010, RMS Alsace comprenait 16 cabinets médicaux couvrant la région, réunissant 26 médecins généralistes, 7 psychologues et 4 travailleurs sociaux. L’étude présentée ici concerne les usagers pris en soin par ces médecins. À l’été 2012, 7 nouveaux médecins ont adhéré au réseau et n’ont participé, dans cette étude, qu’au questionnaire complémentaire « médecin ».

Au niveau national, RMS Alsace est membre de la Coordination nationale des réseaux de microstructures médicales (CNRMS), qui rassemble, à ce jour, cinq réseaux en France (http://www.reseau-rms.org).

Après avoir incité au dépistage et au traitement de l’hépatite chronique C chez les usagers de substances psychoactives 6, RMS Alsace s’est donné pour objectif de faire progresser la couverture vaccinale contre l’hépatite B dans cette population à risque, conformément aux recommandations du Plan national de lutte contre les hépatites B et C (2009-2012) 7.

Le plan d’action

La population cible de la recherche-action était les usagers de drogues illicites, notamment l’héroïne, qui représentent 75% de la population suivie par les microstructures.

Le plan d’action a été mené en quatre temps entre 2009 et 2012. Dans un premier temps, fin 2009, un état des lieux de la couverture vaccinale anti-VHB a été réalisé de façon rétrospective chez les usagers de substances psychoactives. Ont été analysés, à partir des fiches sanitaires médicales recueillies en 2008-2009, des items tels que : les dates d’administration du vaccin contre l’hépatite B, la présence de l’antigène HBs, des anticorps anti-HBc et anti-HBs, et la recherche de l’ADN du VHB.

Dans un second temps, une formation des équipes a été mise en place au deuxième trimestre 2010 par le SELHVA et un pharmacologue. Elle a concerné l’ensemble des professionnels des microstructures (médecins, psychologues et travailleurs sociaux) et a été assurée par un hépatologue et un pharmacologue. Un diaporama dédié et présenté à l’occasion de cette formation, a été remis à l’ensemble des équipes ; des cas cliniques ont également été présentés puis discutés en commun. Cette initiative a permis d’aborder, entre autres, les enjeux de santé publique que représente l’hépatite B, les aspects de sa prévention, les populations les plus concernées, l’évolution de la contamination, la démarche diagnostique, le traitement de la maladie, mais aussi le calendrier vaccinal, la sécurité du vaccin et son efficacité. Des rappels réguliers ont été effectués pendant les deux années suivantes, notamment lors de journées trimestrielles de formation sur les hépatites virales ou le VIH, ainsi que lors des journées annuelles des microstructures. La formation de l’ensemble des équipes de prise en soin de la microstructure a permis la discussion autour de cas concrets au cabinet du généraliste lors des réunions de synthèse mensuelles. Ainsi, cette recherche-action a permis de créer un environnement favorable afin de sensibiliser les acteurs des microstructures aux aspects de prévention et thérapeutiques vis-à-vis de l’hépatite B. Toutefois, cette action n’a engendré aucune facilitation pour le patient pour se faire vacciner contre l’hépatite B. Ainsi, le patient devait se faire prescrire le vaccin par le médecin généraliste, se rendre à la pharmacie, acheter le vaccin, puis revenir dans le cabinet du médecin pour l’acte vaccinal.

Dans un troisième temps, nous avons analysé les mêmes données sur le VHB qu’en 2008 et 2009, issues des fiches sanitaires médicales de 2010, 2011 et 2012, afin d’appréhender l’impact de la formation des professionnels sur la couverture vaccinale des usagers de substances psychoactives.

Enfin, le quatrième temps de l’étude, de septembre à novembre 2012, a consisté dans l’envoi d’auto-questionnaires anonymes, élaborés en commun par RMS Alsace et le SELHVA, aux médecins généralistes du réseau et aux usagers de substances psychoactives suivis, dans le but d’analyser les éventuels freins à la vaccination (tableaux 1a et 1b).

Tableau 1 : Questions proposées en auto-questionnaire anonyme. Enquête du Réseau des microstructures médicales d’Alsace, 2012
Agrandir l'image

Recueil et analyse des données

Les données utilisées dans le cadre de cette étude proviennent des trois fiches renseignées en routine dans le cadre du réseau et des auto-questionnaires complétés par les médecins généralistes et les patients inclus (tableaux 1a et 1b).

Un patient vacciné contre l’hépatite B était défini comme un patient ayant des anticorps anti-HBs à un titre supérieur à 10 mUI/mL, ou présentant un schéma vaccinal complet (3 injections) réalisé au cabinet du généraliste.

La couverture vaccinale était définie comme le nombre de patients vaccinés sur le nombre de patients pour lesquels une information sur la vaccination était disponible dans la fiche médicale.

L’analyse a porté sur l’ensemble des usagers de substances psychoactives illicites du réseau des microstructures suivis de 2009 à 2012 (cohorte ouverte).

L’analyse statistique de l’évolution de la couverture vaccinale et des caractéristiques des usagers a été réalisée à l’aide du test du Chi2 de McNemar, au seuil de 5%. Le test non paramétrique de Mann-Whitney au seuil de 5% a été utilisé pour l’analyse des auto-questionnaires, compte tenu notamment du faible effectif des médecins.

Résultats

Données sociodémographiques

En 2008 et 2009, des fiches sanitaires médicales ont été remplies pour 602 des 627 usagers de substances psychoactives suivis en microstructure (96%). La population suivie était principalement masculine (66%), d’un âge moyen de 35,8 ans. Parmi eux, 45% disposaient d’un revenu d’emploi, 21% du RSA (Revenu de solidarité active), 12% d’une allocation-chômage, 11% d’autres prestations sociales et 8% de l’allocation adulte handicapé ; 70% avaient au plus un niveau d’études de BEP et 30% avaient au moins un baccalauréat ; 85% avaient un logement stable et 2% étaient sans domicile fixe. Tous les usagers avaient une couverture sociale, dont 26% la CMU (Couverture maladie universelle) et la CMU complémentaire. Enfin, 40% vivaient seuls ou étaient isolés.

Le nombre de fiches sanitaires médicales analysées était, respectivement, de 482 en 2010 (78% des usagers de substances psychoactives), 707 en 2011 (91%), et 675 en 2012 (83%).

La comparaison entre les usagers de substances psychoactives suivis durant les périodes 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012 n’a pas mis en évidence de différences significatives dans les données sociodémographiques. Entre 2008 et 2012, 220 usagers ont été suivis longitudinalement.

Couverture vaccinale en 2008-2009

Avant l’action de formation, la couverture vaccinale contre l’hépatite B était de 28%. Les caractéristiques des usagers, selon le statut vaccinal, sont présentées dans le tableau 2.

Tableau 2 : Caractéristiques des usagers vaccinés par rapport aux usagers non vaccinés dans la population des usagers de substances psychoactives du Réseau des microstructures médicales d’Alsace en 2008-2009 (N=602) et 2012 (n=675)
Agrandir l'image

Évolution de la couverture vaccinale

Dès décembre 2010, la couverture vaccinale est passée à 35%, puis à 39% en 2011 et à 52% en 2012. Ainsi, la couverture vaccinale a quasiment doublé en 30 mois, de fin 2009 à 2012. (figure 1). Contrairement à 2008 et 2009, il apparaît qu’en 2012, après la formation des professionnels du réseau, la couverture vaccinale n’est plus fonction ni de l’âge de l’usager, ni de son sexe, ni de sa dépendance à l’alcool. Les usagers les mieux insérés (emploi) ou ayant un traitement de substitution restaient davantage vaccinés (tableau 2).

En 2012, la couverture vaccinale était de 62% chez les 267 usagers entrés dans le réseau après 2010 versus 47% chez les 408 usagers entrés dans le réseau avant 2010 (p<0,001). Dans le premier groupe, 59% des usagers ont été vaccinés après le début des formations versus 40% dans le second groupe (p<0,001).

Pour la population des 220 usagers suivis de façon longitudinale de 2008 à 2012, la couverture vaccinale a progressé de 29% en 2008 et 2009 à 51% en 2012 (p<0,01), de la même façon que dans la population totale étudiée.

Figure 1 : Évolution de la couverture vaccinale vis-à-vis de l’hépatite B chez les usagers de substances psychoactives suivis par le Réseau des microstructures médicales d’Alsace, 2009-2012
Agrandir l'image

Analyse des auto-questionnaires usagers et médecins

Avec un taux de retour de 54% (n=328) pour les usagers de substances psychoactives suivis par le réseau en 2012 et de 100% pour les médecins généralistes du réseau en 2012 (n=33, dont 7 nouveaux adhérents en 2012), l’analyse des auto-questionnaires a donné les informations suivantes :

Pour les usagers de substances psychoactives

Les principaux modes de transmission du VHB étaient connus par les usagers : 93% déclaraient une contamination par le sang (contact direct avec du sang infecté par le VHB), 82% par la voie sexuelle et 58% par la voie materno-fœtale ; cependant, 33% déclaraient une transmission possible par « voie alimentaire » et 2% évoquaient une voie aérienne. Seuls 29% des usagers ont répondu correctement à l’ensemble des 5 propositions relatives aux modes de transmission (tableau 1a, question 9).

La vaccination n’était pas associée à la connaissance des modes de transmissions du VHB, mais à la connaissance de la gravité potentielle de l’hépatite B avec le risque de cirrhose et/ou de carcinome hépatocellulaire. À la question « Selon vous, l’hépatite B est-elle une maladie grave ? » 91% des usagers vaccinés (n=198) déclaraient « oui tout à fait » versus 61% dans le groupe des non-vaccinés (n=130) (p<0,001).

Sur une échelle visuelle analogique notée de 0 à 10, à la question « Ce vaccin est-il une priorité pour vous ? », les usagers notaient 6,5/10 (± 3,18) le caractère prioritaire de la vaccination, avec une différence significative entre les usagers vaccinés (7,8/10 ± 2,56) et les usagers non vaccinés (4,2/10 ± 3,01) (p<0,001). À la question « Quelle priorité donnez-vous à ce vaccin par rapport à vos problèmes économiques (salaire, dettes) ? », la priorité de la vaccination était notée en moyenne à 2,9/10 (± 2,86), non significativement différente entre les vaccinés et les non-vaccinés. Et à la question « Quelle priorité donnez-vous à ce vaccin par rapport à vos problèmes sociaux (logement, travail) ? », la priorité de la vaccination était notée de 6,2/10 (± 3,20) chez les vaccinés et 3,3/10 (± 2,92) et chez les non-vaccinés (p<0,001) (figure 2).

Figure 2 : Priorité donnée à la vaccination contre l’hépatite B par rapport aux problèmes socioéconomiques et aux autres problèmes médicaux selon une échelle visuelle analogique (EVA) notée de 0 (absence de priorité) à 10 (priorité maximale) chez les usagers de substances psychoactives suivis par le Réseau des microstructures médicales d’Alsace, 2012
Agrandir l'image

Pour les usagers de substances psychoactives et pour les médecins

À la question « Pensez-vous que la vaccination contre l’hépatite B soit sans danger ? », 17% des usagers déclaraient un risque vaccinal (défini comme un score supérieur à 8), avec une différence significative entre les usagers vaccinés (13%) et les usagers non vaccinés (23%) (p<0,05). De même, 16% des médecins généralistes mentionnaient l’existence d’un risque vaccinal (figure 3).

Le calendrier vaccinal n’était cité comme frein à la vaccination que par 8% des usagers versus 19% des médecins généralistes (p<0,05) (figure 3).

Enfin, 12% des médecins déclaraient la vaccination comme étant prioritaire pour les usagers de substances psychoactives versus 29% des usagers (p<0,05) (figure 3).

Figure 3 : Comparaison des réponses positives entre les médecins généralistes du Réseau des microstructures médicales d’Alsace et les usagers de substances psychoactives pour la priorité de la vaccination, la complexité du calendrier vaccinal et le risque vaccinal, 2012
Agrandir l'image

Discussion

Notre étude apporte des informations sur la couverture vaccinale contre l’hépatite B, documentée dans un échantillon d’usagers de substances psychoactives suivis en médecine de ville. Elle confirme une couverture vaccinale faible en 2008 et 2009 (28%) dans cette population à risque. Ce taux est similaire à celui observé dans un CDAG de la région parisienne en 2007 (32%) 8. Dans l’enquête KABP 2010 4 menée en population générale, la couverture vaccinale déclarée chez les personnes déclarant un usage de drogues par voie intraveineuse au moins une fois au cours de la vie était de 50%, mais sur un très faible effectif (n=52) ; il en était de même dans l’enquête Recap-OFDT 2010 (55,6%), portant sur des personnes ayant un problème d’addiction suivies en Csapa (Centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie) et basée également sur des données déclaratives 9.

Ainsi, des efforts importants restent à faire au niveau national pour améliorer la couverture vaccinale anti-VHB chez les usagers de substances psychoactives, même si des progrès ont déjà été réalisés, en particulier par les médecins généralistes appartenant à un réseau de soin et/ou vaccinés eux-mêmes contre l’hépatite B 10. Notre étude a montré que la connaissance de la gravité de la maladie était associée à la vaccination parmi les usagers de substances psychoactives (91% chez les usagers vaccinés vs. 61% chez les non-vaccinés). Néanmoins, 61% des usagers non vaccinés ont conscience de la gravité de la maladie.

Des études récentes menées conjointement par l’Institut national de prévention et d’éducation pour la santé (Inpes) et l’Institut de veille sanitaire (InVS) 11 montrent que 72% de la population française semble ne plus voir d’inconvénients à se faire vacciner contre l’hépatite B, mais que le frein majeur pour cette vaccination provient des médecins généralistes qui éprouvent des difficultés à en parler à leurs patients. Dans une autre enquête menée auprès de 150 patients issus de la population générale et 75 médecins généralistes, pédiatres et gynécologues 12, la majorité des personnes interrogées sont favorables à la vaccination contre l’hépatite B, mais les médecins ne la perçoivent pas comme un enjeu de santé publique. Notre étude confirme ces données. Elle montre que, même parmi les professionnels investis et motivés dans la prise en charge de cette population à risque, 88% des médecins généralistes de microstructures ne jugent pas prioritaire la vaccination contre l’hépatite B par rapport aux problèmes socio-économiques ou aux autres problèmes médicaux qui touchent les usagers de substances psychoactives. Il serait intéressant d’évaluer la pratique de la vaccination par les médecins généralistes si les problèmes socio-économiques des usagers étaient résolus. De plus, 16% des médecins craignent un risque vaccinal. Ainsi, la polémique sur la vaccination contre l’hépatite B n’est pas encore complètement éteinte malgré les multiples publications qui ont permis de lever le doute sur ce sujet 13.

L’étude ANRS-Formvac 5 menée en CDAG montre qu’une formation unique des équipes est insuffisante pour permettre l’adhésion de l’usager à la vaccination, définie par une dose de vaccin. Elle montre également que la mise à disposition gratuite du vaccin permet une augmentation non seulement de l’adhésion à la vaccination, mais aussi de la couverture vaccinale. Pourtant, une revue de la littérature 14 met en avant, pour expliquer les refus de vaccination, l’insuffisance de l’information des professionnels et des autorités de santé. Dans notre recherche-action, la formation des équipes professionnelles a très probablement eu un impact sur la progression de la couverture vaccinale. Cette dernière a quasiment doublé en 30 mois pour des usagers qui fréquentent la médecine de ville. Toutefois, pour aboutir à ces résultats, il apparaît nécessaire de répéter les formations dans le temps en s’adressant à l’ensemble des professionnels de santé.

Enfin, les usagers de substances psychoactives ont souvent de grandes difficultés sociales. C’est pourquoi la seule formation des professionnels n’est pas suffisante pour amener à la vaccination cette population souvent vulnérable. Le poids de leurs problèmes économiques et sociaux amène souvent les usagers, tout comme leur médecin généraliste, à penser que la vaccination n'est pas prioritaire. Le dispositif des microstructures, réseau de santé primaire, amorce, en même temps que le soin médical, un travail social et psychologique avec les usagers. Il est en effet primordial de pouvoir s’appuyer sur un dispositif structuré, constitué d’une équipe pluriprofessionnelle autour de médecins généralistes « pivots ».

Il serait intéressant de confirmer ces résultats sur une cohorte plus large d’usagers, si possible suivis de façon longitudinale, et sur un effectif plus important de médecins généralistes. Une telle étude est prévue dans le cadre de la Coordination nationale des réseaux de microstructures médicales.

C’est dans cet environnement favorable à la prévention et au soin que les usagers de substances psychoactives se font vacciner, encadrés par une équipe de premier recours. Ainsi, le travail en équipe initié au sein du réseau des microstructures a permis d’améliorer la prévention de l’hépatite B chez les usagers de drogues.

Remerciements

Les auteurs remercient plus particulièrement tous les usagers de substances psychoactives et tous les professionnels du réseau (médecins, psychologues et travailleurs sociaux) ayant participé à cette étude, ainsi que les financeurs régionaux : l’Agence régionale de santé (ARS) d’Alsace et les collectivités territoriales.

Références

[1] Le calendrier des vaccinations et les recommandations vaccinales 2013 selon l'avis du Haut Conseil de la santé publique. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(14-15):131-58. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=11437
[2] Collet M., Vilain A. Les certificats de santé de l’enfant au 24ème jour (CS24) - Validité 2010. Document de travail, Série Sources et méthodes n°33. Paris: Drees, 2012. http://www.drees.sante.gouv.fr/les-certificats-de-sante-de-l-enfant-au-24eme-mois-cs24,11001.html
[3] Jauffret-Roustide M, Le Strat Y, Couturier E, Thierry D, Rondy M, Quaglia M, et al. A national cross-sectional study among drug-users in France: epidemiology of HCV and highlight on practical and statistical aspects of the design. BMC Infect Dis. 2009;9:113.
[4] Brouard C, Gautier A, Saboni L, Jestin C, Semaille C, Beltzer N. Connaissances, perceptions et pratiques vis-à-vis de l'hépatite B en population générale en France métropolitaine en 2010. Bull Epidémiol Hebd. 2012;(29-30):338-8. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=10843
[5] Launay O, Tosini W, Le Strat Y, Danan J, Réveillon J, Kara L, et al. Impact de la mise à disposition du vaccin et/ou de la formation du personnel sur la couverture vaccinale contre l’hépatite B des consultants des CDAG. Étude ANRS-FORMVAC, 2009-20011. Étude multicentrique prospective évaluant l'impact de différentes interventions de santé publique destinées à améliorer l'adhésion à la vaccination contre l'hépatite B des sujets vus en consultation de dépistage anonyme et gratuit en France. Résultats présentés lors de la journée nationale de lutte contre les hépatites B et C. Paris : Ministère de la santé, 30 mai 2013. http://www.sante.gouv.fr/IMG/pdf/Plan-_CR_colloqueH_patites30_mai_2013_VcorrF.pdf
[6] Di Nino F, Imbs JL, Melenotte GH, le réseau RMS Alsace, Doffoël M. Dépistage et traitement des hépatites C par le réseau des microstructures médicales chez les usagers de drogues en Alsace, France, 2006-2007. Bull Epidémiol Hebd. 2009;(37):400-4. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=1003
[7] Plan national de lutte contre les hépatites B et C (2009-2012). Paris: Ministère de la Santé et des Sports; 2009. 88 p. http://www.sante-sports.gouv.fr/IMG/pdf/Plan_national_Hepatites.pdf
[8] Tosini W, Rioux C, Pélissier G, Bouvet E. Étude de perception des risques de l’hépatite virale B et de sa prévention vaccinale dans une consultation de dépistage anonyme et gratuit (CDAG) parisienne en 2007. Bull Epidémiol Hebd. 2009;(20-21):217-9. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=1374
[9] Palle C, Rattanatray M. Les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie en 2010. Situation en 2010 et évolutions sur la période 2005-2010. Focus Consommation et conséquences (OFDT), 2013. 89 p. http://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/epfxcpt6.pdf
[10] Gautier A, Jestin C. Opinions et pratiques des médecins généralistes vis-à-vis de la vaccination contre l’hépatite B, France, 2009. Bull Epidémiol Hebd. 2012;(29-30):339-42. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=10844
[11] Gautier A, Jauffret-Roustide M, Jestin C. (Dir). Connaissances, attitudes et comportements face aux risques infectieux. Enquête Nicolle 2006. Saint-Denis: Inpes; 2008. 246 p. http://www.inpes.sante.fr/nouveautes-editoriales/2008/enquete-nicolle-2006.asp
[12] Vignier N, Jestin C, Arwidson P. Perceptions de l’hépatite B et de sa prévention. Premiers résultats d’une étude qualitative. Bull Epidémiol Hebd. 2009;(20-21):212. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=1376
[13] Mikaeloff Y, Caridade G, Suissa S, Tardieu M. Hepatitis B vaccine and the risk of CNS inflammatory demyelination in childhood. Neurology. 2009;72(10):873-80.
[14] Omer S, Salmon D, Orenstein W, de Hart P, Halsey N. Vaccine refusal, mandatory immunization, and the risks of vaccine-preventable diseases. N Engl J Med. 2009;360:1981-8.

Citer cet article

Di Nino F, Imbs JL, Melenotte GH, le Réseau RMS, Doffoel M. Progression de la couverture vaccinale vis-à-vis de l’hépatite B chez les usagers de substances psychoactives suivis par le Réseau des microstructures médicales d’Alsace, 2009-2012. Bull Epidémiol Hebd. 2014;(11):192-200.