Dépistage du saturnisme de l’enfant dans le département du Nord (France) : stratégies mises en œuvre par l’Agence régionale de santé

// Screening for lead poisoning in children in the North Department (France): strategies implemented by the Regional Health Agency

Marie Barrau1 (marie_barrau@yahoo.fr) , Magali Lainé1, Isabelle Taisne2, Emilie Hecquet2, Anne Druesne2, Véronique Pavec2, Pascal Chaud1, Christophe Heyman1
1 Cire Nord-Pas-de-Calais - Picardie, Institut de veille sanitaire, Lille, France
2 Agence régionale de santé Nord-Pas-de-Calais, Département santé-environnement, Lille, France
Soumis le 15.05.2013 / Date of submission: 05.15.2013
Mots-clés : Saturnisme | Dépistage | Constat de risque d’exposition au plomb | Plaintes
Keywords: Lead poisoning | Screening | Lead exposure risk | Complaints

Résumé

Introduction –

Le système national de surveillance du saturnisme est basé sur le dépistage, par les médecins, d’enfants mineurs présentant un ou plusieurs facteurs de risque d’exposition au plomb. L’objectif de l’étude était d’étudier la stratégie spécifique de dépistage mise en place par l’Agence régionale de santé (ARS) Nord-Pas-de-Calais.

Méthode –

L’étude a inclus les mineurs dépistés entre janvier 2009 et janvier 2011 dans le département du Nord, soit dans le cadre des stratégies classiques de dépistage, soit dans le cadre des stratégies proactives de repérages d’adresses à risque de l’ARS (enfants repérés par les Constats de risque d’exposition au plomb (Crep) positifs et par les plaintes des occupants du logement ou les signalements de partenaires de l’ARS).

Résultats –

Sur les 976 plombémies incluses, 341 étaient issues de la stratégie spécifique. La comparaison entre les stratégies classiques et spécifiques de dépistage, suite à l’identification d’un habitat à risque, et celle entre les stratégies de dépistage au sein du dispositif spécifique n’a pas montré de différence de proportion de plombémies dépassant les différents seuils testés (50, 70, 100 µg/L).

Discussion –

L’étude n’a pas mis en évidence une meilleure efficacité du repérage proactif d’adresses à risque par les Crep ou par les plaintes pour le repérage des cas de saturnisme. L’intérêt principal de ce repérage réside dans le nombre d’enfants ainsi dépistés et qui ne l’auraient probablement pas été par ailleurs.

Abstract

Introduction –

The national surveillance system of lead poisoning is based on the screening by physicians of minor children with one or more risk factors for lead exposure. The objective of this survey was to investigate the specific screening strategy of lead poisoning implemented by the Regional Health Agency in the North of France (ARS).

Method –

The study included minor children diagnosed for the first time between January 2009 and January 2011 in the North Department of France, either through conventional screening strategies or through screening of proactive addresses at risk by the ARS (identified by positive findings of lead exposure risk (CREP) or complaints of housing occupants, or alerts by ARS partners).

Results –

Of the 976 children sampled, 341 resulted from the specific strategy. The comparison between specific and classical screening strategies following the identification of a housing at risk, and that between screening strategies of the specific system showed no difference in the proportion of blood lead levels exceeding the different thresholds of lead levels (50, 70, 100 µg/L).

Discussion –

The study did not demonstrate a more efficient pro-active identification of addresses at risk by the CREP or complaints for identification of children heavily exposed to lead. The main interest of this identification lies in the number of children screened by the complementary strategy, who probably would not have been screened otherwise.

Introduction

En France, le saturnisme de l’enfant mineur est une maladie à déclaration obligatoire pour une plombémie supérieure ou égale à 100 µg/L depuis 1999. Le système national de surveillance des plombémies chez l’enfant mineur est basé sur la transmission d’une fiche Cerfa par le médecin prescripteur au centre antipoison de sa région, via le laboratoire d’analyse, lors de la prescription de toute mesure de plombémie permettant de renseigner les facteurs de risque identifiés au moment de la consultation et qui ont conduit à prescrire l’examen.

Selon l’enquête de prévalence menée chez les enfants de 1 à 6 ans en 2008-2009, la prévalence nationale est estimée à 0,11% (IC95%:[0,02-0,21]) tandis qu’elle était de 2,1% (IC:[1,6-2,6]) en 1995-1996 1. Parallèlement, la moyenne géométrique de l’imprégnation saturnine est passée de 36 à 15 µg/L au niveau national. Elle est estimée à 13,8 µg/L (IC:[11,7-16,4]) en région Nord-Pas-de-Calais en 2008-2009 1. La prévalence du saturnisme calculée à partir des données de surveillance chez les primo-dépistés a, quant à elle, chuté de 25% en 1995 à 3,6% en 2010, tandis que le nombre de plombémies effectuées a quasiment doublé. Elle était de 5,4% dans le département du Nord en 2010 2. Le dépistage du saturnisme passe par un ciblage individuel, par le biais de repérage, ou collectif, via les campagnes organisées concernant les enfants, sur la base de la suspicion ou de l’identification de facteurs de risque pour susciter la réalisation d’une plombémie. Le médecin prescripteur de la plombémie repère un ou plusieurs facteurs de risque lié(s) à l’environnement de l’enfant : présence de peintures écaillées, ingestion des écailles de peintures (comportement de pica) ou de poussières présentes lors de travaux de réhabilitation du logement. D’autres facteurs de risque peuvent également amener le médecin à prescrire une plombémie, tels que l’activité professionnelle des parents exposant au plomb, la consommation d’eau du robinet passée par des tuyaux en plomb, le lieu de vie ou le lieu le plus fréquenté par l’enfant à proximité d’un site industriel à risque, en activité ou non (pollution industrielle), ou encore les loisirs à risque des parents tels que la chasse et la pêche 3,4.

La Direction départementale des affaires sanitaires et sociales du Nord (Ddass), devenue Agence régionale de santé Nord-Pas-de-Calais (ARS), a cherché à améliorer le dépistage des plombémies supérieures ou égales à 70 µg/L de l’enfant dans le département du Nord par un repérage proactif d’adresses à risque.

Les objectifs de l’étude étaient de :

  • décrire les caractéristiques des mineurs dépistés suite à la stratégie spécifique de l’ARS et les comparer à celles des mineurs dépistés via les stratégies classiques de dépistages ;
  • définir un groupe de référence pertinent pour la comparaison des dispositifs, c'est-à-dire un groupe dont les facteurs de prescription sont liés à l’habitat ;
  • différencier l’activité de dépistage issue des Constats de risque d’exposition au plomb (Crep) de celle issue du repérage par enquête à domicile et signalement.

Méthode

La population d’étude était constituée des mineurs ayant eu un résultat de plombémie dans le département du Nord du 1er janvier 2009 au 31 janvier 2011, suite à un prélèvement réalisé pour la première fois chez un enfant ou, en cas de prélèvements antérieurs, si le prélèvement n’a pas été fait dans le cadre d’un suivi pour une plombémie supérieure à 70 µg/L.

La stratégie de repérage proactif d’adresses à risque, spécifique à l’ARS, repose sur :

  • les enquêtes à domicile réalisées par ses techniciens pour suspicion d’insalubrité ou autres plaintes ;
  • le signalement de logements à risque par ses partenaires (services communaux d’hygiène et de santé, unités territoriales de la prévention et de l’action sociale, association pour l’insertion et le logement, …) sensibilisés au risque saturnin ;
  • les conclusions des Crep en lien avec la Direction départementale des territoires et de la mer.

L’ARS a ainsi envoyé un courrier aux familles des logements repérés pour les inciter à faire dépister leurs enfants. Elle les a relancées par téléphone.

Les informations relatives aux enfants incités au dépistage par l’ARS et à l’origine du signalement (Crep ou enquête/plainte/signalement) étaient disponibles sur les fiches individuelles de suivi de l’ARS. Les enfants issus de cette stratégie spécifique de l’ARS ont, par ailleurs, été identifiés sur la base du système national de surveillance des plombémies de l’enfant géré par l’Institut de veille sanitaire (InVS), après croisement des variables suivantes : date de naissance, date de prélèvement, résultat de la plombémie et commune de résidence.

Les facteurs de prescription ont soit été conservés tels quels, soit fait l’objet d’un regroupement (variable « habitat » pour « habitat dégradé », « peinture au plomb » et « travaux récents dans l’habitat » ; variable « biologie » pour « anémie » et « carence martiale ») car très proches ou très faiblement renseignés. Les variables « adoption » et « exposition professionnelle des mineurs » ont été créées et renseignées à partir du facteur de prescription « autres facteurs de risque ». La variable « habitat antérieur à 1949 » n’a pas été prise en compte dans l’analyse car elle a été complétée a posteriori de la réception du résultat de la plombémie comme facteur de risque, et non plus comme facteur de prescription.

Une analyse des correspondances multiples (ACM), couplée à une classification ascendante hiérarchique (CAH), a été effectuée sur 12 variables afin de définir des groupes homogènes d’individus en termes de facteur de prescription de la plombémie et d’y identifier un groupe « habitat » de mineurs dépistés dans le cadre des stratégies classiques de dépistage. Les tests du Chi2 de Pearson et Fisher ont été utilisés pour la comparaison des moyennes géométriques des différents groupes, aux seuils de plombémie 50, 70 et 100 µg/L.

Résultats

Entre le 1er janvier 2009 et le 31 janvier 2011, 976 mineurs ont eu un primo-dépistage. Parmi eux, 341 (34,9%) étaient issus du dispositif spécifique.

Les plombémies étaient comprises entre 1 et 336 µg/L (médiane : 23 µg/L, étendue interquartiles : 14-35 µg/L). La moyenne géométrique des plombémies effectuées était légèrement plus élevée dans le dispositif spécifique que dans le système national de surveillance avec, respectivement, 25,4 µg/L et 22,5 µg/L. Le nombre de cas de saturnisme enregistré était de 34, dont 7 (20,6%) repérés par le dispositif spécifique. Il n’y avait pas de différence significative de rendement de dépistage quel que soit le seuil de plombémie (p=0,07) (tableau 1).

Tableau 1 : Plombémies supérieures à différents seuils selon le type de stratégies de dépistage du saturnisme, du 1er janvier 2009 au 31 janvier 2011, département du Nord (N=976), France
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Les facteurs de prescription renseignés par le médecin au moment de la prescription de la plombémie sont présentés dans le tableau 2. L’absence de facteur de prescription renseigné est importante et diffère peu selon les stratégies au sein du dispositif spécifique (46,1% vs. 41,3%). Le dispositif spécifique se caractérise par une plus grande proportion de facteurs de prescription liés à l’habitat : habitat dégradé (35,8% vs. 19,1%), présence de peinture au plomb (22,7% vs. 7,1%), travaux récents (11,8% vs. 5,8%) ainsi que par la présence d’une pollution industrielle (14,8% vs. 6,5%). En regard, les mineurs dépistés dans le cadre du système national de surveillance se caractérisent par une proportion plus importante de présence de symptômes (14,0% vs. 0,9%), d’anémie (8,7% vs. 0,9%) et d’enfants adoptés (10,1% vs. 0,0%).

Tableau 2 : Facteurs identifiés au moment de la prescription de la plombémie par le médecin selon le type de stratégie de dépistage, du 1er janvier 2009 au 31 janvier 2011, département du Nord (N=965), France
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L’ACM et la CAH ont permis de distinguer et de qualifier 6 classes différentes, selon les facteurs de prescription, parmi les mineurs dépistés dans le cadre du système national de surveillance. La classe n° 4, la plus conséquente avec 130 enfants mineurs, se singularise par des facteurs de prescription liés à l’habitat et, de façon bien moindre, par un risque hydrique. Il s’agit de la classe homogène la plus comparable, en termes de facteurs de prescription, à la stratégie spécifique. Quel que soit le seuil utilisé de 50, 70 ou 100 µg/L, la proportion de plombémies dépassant le seuil est équivalente dans les deux dispositifs (tableau 3).

Tableau 3 : Comparaison des fréquences de plombémies dépassant différents seuils entre la stratégie spécifique et les classes des stratégies classiques, du 1er janvier 2009 au 31 janvier 2011, département du Nord, France
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Parmi les 341 enfants dépistés issus de la stratégie spécifique, 66 (19,4%) ont été repérés à partir d’un Crep positif et 275 (80,6%) à partir d’une enquête au domicile ou d’un signalement par un partenaire. Les plombémies étaient comprises entre 7 et 120 µg/L en cas de Crep positif, et entre 5 et 310 µg/L en cas d’enquêtes au domicile/signalements par un partenaire. La moyenne géométrique des plombémies des enfants dépistés suite à une enquête au domicile/signalement par un partenaire, était de 25,8 µg/L vs. 23,4 µg/L suite à un Crep positif. Il n’y avait pas de différence significative de proportion de plombémies dépassant les 3 seuils utilisés entre le repérage par les Crep et par les enquêtes/signalements, quel que soit le seuil de plombémie (tableau 4).

Tableau 4 : Plombémies dépassant différents seuils selon le type de repérage du logement à risque (stratégie spécifique), du 1er janvier 2009 au 31 janvier 2011, département du Nord, France
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Discussion-conclusion

La stratégie spécifique de l’ARS a représenté 35% du dépistage dans le département et a permis d’identifier 7 cas de saturnisme, 20 enfants avec une plombémie comprise entre 70 et 100 µg/L et 26 avec une plombémie comprise entre 50 et 70 µg/L. L’action de l’ARS a permis de renforcer sensiblement le dispositif de lutte contre l’intoxication par le plomb dans le département du Nord, dans un contexte où les médecins traitants seraient devenus moins sensibles à ce problème de santé publique du fait de l’abaissement de la prévalence et du peu de signes cliniques spécifiques à cette intoxication 4. La prise de relais par des infirmières du service santé environnement de l’ARS, pour l’incitation au dépistage après le repérage des enfants, a joué un rôle essentiel dans la réalisation du prélèvement, la quasi-totalité des enfants ayant été prélevés suite aux relances téléphoniques.

Dans notre étude, aucun facteur de risque n’était précisé dans la fiche pour près de 42% des plombémies enregistrées, ce qui est légèrement supérieur aux dernières données de surveillance nationales, avec 34% des fiches sans facteur de risque renseigné 5.La suppression de la variable « habitat antérieur à 1949 » dans notre étude pourrait en partie expliquer cette différence. Cependant, il se peut également que les médecins prescrivent la plombémie sur des critères autres que ceux présents dans la fiche, tels que la précarité de la famille ou un comportement de l’enfant jugé « anormal ».

D’après le tableau 3, l’habitat à risque est autant représenté comme facteur de prescription chez les mineurs dépistés dans le cadre des stratégies classiques de dépistage que dans le cadre de la stratégie spécifique de l’ARS. De nombreuses campagnes de sensibilisation des médecins par l’ARS ou ses partenaires, dans des communes ou des quartiers ayant des habitats anciens, ont eu lieu ces dernières années. Ces actions pourraient expliquer le bon ciblage des habitats à risque par les médecins prescripteurs.

Deux limites principales peuvent être formulées. La première concerne la qualité des informations relatives aux facteurs de prescription : la fiche de surveillance, qui doit normalement être jointe à la prescription de toute plombémie, n’est en fait disponible que pour 10% des plombémies, ce qui conduit le Centre antipoison et de toxicovigilance à relancer les médecins prescripteurs et à compléter a posteriori les items d’ancienneté de l’habitat, et parfois d’état dégradé et de pollution industrielle. La deuxième limite porte sur la faiblesse des effectifs de certaines classes lors de la comparaison des proportions, notamment aux seuils de plombémies les plus élevées (70 et 100 µg/L). Il serait donc nécessaire d’inclure plus de sujets dans l’étude afin d’avoir des effectifs suffisants pour améliorer la puissance de l’étude.

Au final, aucune différence significative n’a été mise en évidence en termes de niveaux de plombémies entre le dépistage par des stratégies classiques et par des stratégies spécifiques de l’ARS. Le repérage d’adresses à risque ne semble globalement pas mieux cibler les enfants sur-imprégnés en plomb dans notre étude. L’intérêt principal du repérage proactif d’adresses à risque réside ici dans le nombre d’enfants ainsi dépistés et qui ne l’auraient probablement pas été par le système national de surveillance.

Remerciements

Nous tenons à remercier les médecins du Centre antipoison et de toxicovigilance (CAPTV), les membres de la Direction départementale du territoire et de la mer et ceux des services communaux d’hygiène et de santé du département du Nord pour leur contribution à l’étude.

Références

[1] Etchevers A, Lecoffre C, Le Tertre A, Le Strat Y, Groupe Investigateurs Saturn-Inf, De Launay C, et al. Imprégnation des enfants par le plomb en France en 2008-2009. BEHWeb 2010 ;(2). http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=693
[2] Institut de veille sanitaire. Saturnisme chez l’enfant. Données de la surveillance du dépistage et de la déclaration obligatoire : nombre de plombémies de primodépistage chez les 0-17 ans, par département de domicile de l'enfant et année de dosage de la plombémie, nombre de cas au primodépistage par département et année, de 1995 à juin 2012 [Internet]. http://www.invs.sante.fr/Dossiers-thematiques/Environnement-et-sante/Saturnisme-chez-l-enfant/Donnees-de-la-surveillance-du-depistage-et-de-la-declaration-obligatoire
[3] Inserm, InVS. Saturnisme : quelles stratégies de dépistage chez l’enfant ? Expertise opérationnelle. Paris: Inserm; 2008. 316 p.
[4] Direction générale de la santé. L’intoxication par le plomb de l’enfant et de la femme enceinte : dépistage, prise en charge. Guide pratique. Paris: Ministère de la Santé et des Solidarités; 2006. 35 p.
[5] Lecoffre C, Provini C, Bretin P. Dépistage du saturnisme chez l’enfant en France de 2005 à 2007. Saint-Maurice: Institut de veille sanitaire; 2010. 64 p. http://opac.invs.sante.fr/index.php?lvl=notice_display&id=651

Citer cet article

Barrau M, Lainé M, Taisne I, Hecquet E, Druesne A, Pavec V, et al. Dépistage du saturnisme de l’enfant dans le département du Nord (France) : stratégies mises en œuvre par l’Agence régionale de santé. Bull Epidémiol Hebd. 2013;(31):386-91.