Toxoplasmose chez les femmes enceintes en France : évolution de la séroprévalence et des facteurs associés entre 1995 et 2010, à partir des Enquêtes nationales périnatales

// Toxoplasmosis among pregnant women in France: trends in seroprevalence and associated factors between 1995 and 2010

Mathieu Tourdjman (m.tourdjman@invs.sante.fr), Catherine Tchéandjieu, Henriette De Valk, Véronique Goulet, Yann Le Strat
Institut de veille sanitaire, Saint-Maurice, France
Soumis le 19.02.2015 // Date of submission: 02.19.2015
Mots-clés : Toxoplasmose | Femme enceinte | Grossesse | Prévalence | Enquêtes nationales périnatales
Keyword: Toxoplasmosis | Pregnant woman | Pregnancy | Prevalence | National Perinatal Cross-sectional Studies

Résumé

Introduction –

La toxoplasmose est une zoonose alimentaire ubiquitaire le plus souvent bénigne. En cas de primo-infection pendant la grossesse, elle peut être responsable de complications fœtales parfois sévères. Les objectifs de cette étude étaient d’estimer l’évolution de la séroprévalence de la toxoplasmose et de ses facteurs associés chez les femmes enceintes, en France, entre 1995 et 2010, à partir des données des Enquêtes nationales périnatales (ENP).

Méthodes –

L’étude a porté sur les ENP réalisées en 1995, 2003 et 2010. La séroprévalence de la toxoplasmose a été estimée pour chaque enquête et une analyse multivariée a été réalisée afin d’identifier les facteurs associés à la toxoplasmose.

Résultats –

Les analyses ont porté sur 42 916 femmes en fin de grossesse pour lesquelles le statut sérologique vis-à-vis de la toxoplasmose était renseigné. La séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes a diminué au cours du temps, passant de 54,3% en 1995 à 43,8% en 2003 et à 36,7% en 2010. Elle est significativement associée à l’âge, à la nationalité et à la région de résidence, avec un gradient géographique est-ouest de séroprévalence.

Discussion –

La séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes a fortement diminué entre 1995 et 2010. Une réévaluation de la stratégie de dépistage actuelle de la toxoplasmose pendant la grossesse devrait être envisagée.

Abstract

Introduction –

Human toxoplasmosis is an ubiquitous and usually mild foodborne infection. In pregnant women however, primary infection can result in severe malformations in the newborn. The objectives of this study were to estimate trends in toxoplasmosis seroprevalence among pregnant women in France, between 1995 and 2010, by using data from the National Perinatal cross-sectional Surveys (NPS).

Methods –

Data from the 1995, 2003 and 2010 NPS were analysed to estimate toxoplasmosis seroprevalence, and associated factors were analysed using multivariate regression.

Results –

Toxoplasmosis serological status was available for 42,916 pregnant women. Toxoplasmosis seroprevalence decreased overtime, from 54.3% in 1995 to 43.8% in 2003 and 36.7% in 2010. Prevalence was associated with age, nationality, and region of residence, being the lowest in Eastern region of France.

Discussion –

Toxoplasmosis seroprevalence among pregnant women in France decreased dramatically, between 1995 and 2010. Reevaluation of the French antenatal toxoplasmosis screening program should be considered.

Introduction

La toxoplasmose est une zoonose parasitaire alimentaire ubiquitaire causée par Toxoplasma gondii, protozoaire à développement intracellulaire infectant les mammifères à sang chaud, dont l’homme, et les oiseaux. Les hôtes définitifs du parasite, chats et autres félidés, s’infectent principalement en consommant de la viande d’animaux contaminés et excrètent dans leurs selles des oocystes qui deviennent contaminants en sporulant dans le milieu extérieur. L’homme se contamine en consommant de l’eau ou des aliments contaminés par des oocystes sporulés, ou de la viande crue ou insuffisamment cuite contenant des kystes 1,2,3.

Chez les personnes immunocompétentes, la primo-infection est le plus souvent peu symptomatique, se manifestant par un syndrome pseudo-grippal et des adénopathies cervicales, voire asymptomatique. Elle s’accompagne d’une immunité durable et de la persistance du toxoplasme sous forme de kystes dans les cellules musculaires et du système nerveux central. Chez les personnes immunodéprimées, la réactivation de ces kystes peut entraîner des symptômes parfois sévères 3.

Lorsque la primo-infection survient en cours de grossesse, elle peut s’accompagner d’une transmission materno-fœtale responsable d’une toxoplasmose congénitale susceptible d’entraîner une mort fœtale ou des complications neurologiques ou ophtalmologiques au cours des premières années de vie : hydrocéphalie, microcéphalie, retard psychomoteur ou déficit visuel 4,5. Le risque global de transmission materno-fœtale est estimé à près de 25%. Ce risque augmente avec l’âge gestationnel auquel survient l’infection maternelle. L’atteinte fœtale est d’autant plus grave que la transmission survient tôt au cours de la grossesse 6,7.

L’infection maternelle étant le plus souvent asymptomatique, son diagnostic repose sur le dépistage sérologique. En France, un programme de prévention de la toxoplasmose congénitale a été mis en place par les autorités sanitaires dès 1978, imposant d'abord un dépistage systématique aux femmes ne pouvant attester d’une immunité antérieure, d’abord lors de l’examen prénuptial (décret n° 78-396 du 17 mars 1978) puis lors de l’examen prénatal (arrêté du 19 avril 1985 relatif aux examens médicaux pré et post-natals), et recommandant d’informer les femmes non immunisées des moyens de prévention (circulaire du 27 septembre 1983). Depuis 1992 (décret n° 92-144 du 14 février 1992), ce programme repose sur le dépistage sérologique obligatoirement proposé en début de grossesse, sur la diffusion des mesures de prévention et sur le suivi sérologique mensuel des femmes séronégatives jusqu’à l’accouchement, afin de dépister précocement une éventuelle séroconversion, diagnostiquer et prendre en charge une éventuelle infection fœtale.

En France, la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes baisse régulièrement depuis une cinquantaine d’années. Elle varie selon les régions et est liée à des facteurs géo-climatiques et des habitudes de consommations alimentaires différentes 8,9. Elle était estimée à près de 80% en 1960 10, 63,3% au début des années 1980 11, 54,3% en 1995 8 et 43,8% en 2003 9. La baisse régulière de la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes a pour corollaire une augmentation de la population des femmes séronégatives amenées à être suivies mensuellement. En 2009, la Haute Autorité de santé (HAS) a estimé à 42 millions d’euros le simple coût du dépistage de la toxoplasmose en France 12. Le rapport coût/efficacité de la stratégie actuelle de dépistage est difficile à évaluer. Il dépend de nombreux facteurs : nombre de grossesses annuelles, séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes, taux de séroconversion, coûts du dépistage, coût du diagnostic prénatal, coût et efficacité des traitements mis en œuvre en cas d’infection fœtale confirmée, ainsi que des conséquences médico-sociales de prise en charge des individus infectés. Depuis la mise en place en 2007 d’un système de surveillance spécifique de la toxoplasmose congénitale, appelé Toxosurv, entre 180 et 250 cas de toxoplasmose congénitale sont notifiés chaque année, responsables d’environ 10 à 20 interruptions de grossesse par an, alors que plus de 80% des cas correspondent à des formes asymptomatiques 13.

Les objectifs de cette étude étaient d’estimer l’évolution de la séroprévalence de la toxoplasmose et de ses facteurs associés chez les femmes enceintes, en France, entre 1995 et 2010, à partir des données des Enquêtes nationales périnatales (ENP).

Méthodes

Les ENP ont été réalisées en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer en 1995, 1998, 2003 et 2010 selon le même protocole. L’objectif de ces enquêtes est de suivre l’évolution des principaux indicateurs de santé des femmes enceintes, ainsi que des pratiques médicales, afin d’évaluer et de guider les décisions de santé publique dans le domaine périnatal 14,15. Notre étude a porté sur les ENP réalisées en 1995, 2003 et 2010. L’ENP de 1998 n’a pas été pris en compte car la toxoplasmose n’avait pas été étudiée cette année-là.

Les ENP sont coordonnées par le ministère de la Santé, représenté par la Direction générale de la santé (DGS) et la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (Drees), et par l’unité de recherches épidémiologiques en santé périnatale et santé des femmes de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Unité 149, Inserm). Elles sont réalisées avec l’appui des services départementaux de Protection maternelle et infantile (PMI). Elles portent sur la totalité des naissances d’enfants nés vivants ou mort-nés survenues dans toutes les maternités publiques et privées de France métropolitaine et des départements d’outre-mer pendant une semaine donnée, si la naissance a eu lieu après au moins 22 semaines d’aménorrhée ou si l’enfant présentait un poids de naissance d’au moins 500 grammes. Les enfants nés en dehors de ces établissements (domicile, etc.) et transférés ensuite en maternité ont également été inclus.

Pour chaque naissance, un recueil d’informations a été réalisé à l’aide d’un questionnaire standardisé. Les informations concernant les dépistages prénataux, l’accouchement et l’état de santé de l’enfant à la naissance ont été recueillies dans les maternités à partir du dossier médical des mères. Les caractéristiques sociodémographiques des mères et les informations concernant le suivi de la grossesse ont été recueillies au cours d’un entretien individuel avec les mères avant leur sortie de la maternité. En cas de refus des maternités ou des mères de participer, certaines informations ont été recueillies à partir du certificat de santé du huitième jour.

Les données concernant la sérologie de la toxoplasmose étaient renseignées selon quatre modalités : absence d’anticorps, présence d’anticorps spécifiques (IgG et/ou IgM), examen non fait, statut non connu. Une femme était considérée séronégative pour la toxoplasmose en l’absence d’anticorps anti-toxoplasme lors du dernier contrôle indiqué dans le dossier médical. Elle était séropositive si la présence d’anticorps spécifiques était indiquée lors du dernier contrôle sérologique. Les résultats des analyses portant sur la sérologie n’ont inclus que les mères dont le statut sérologique était connu. En cas de naissances multiples, un seul questionnaire a été inclus dans l’analyse. La séroprévalence de la toxoplasmose a été définie comme la proportion de femmes séropositives parmi les femmes pour lesquelles le statut sérologique était connu.

La séroprévalence de la toxoplasmose dans les ENP 1995 et 2003 ayant déjà fait l’objet de publications antérieures 8,9, la séroprévalence de la toxoplasmose dans l’ENP 2010 et les facteurs associés ont été étudiés dans un premier temps. Dans un second temps, les bases de données des trois ENP ont été fusionnées et les caractéristiques sociodémographiques communes aux trois ENP (âge, nombre de grossesses, niveau d’études, vie en couple, nationalité et région de résidence) ont été étudiées. Une analyse multivariée a été réalisée à l’aide d’un modèle de régression de Poisson afin d’identifier les facteurs associés à la toxoplasmose 16. Les variables continues ont été modélisées à l’aide de polynômes fractionnaires 17 et présentées en classes avec le point central de chaque classe pris comme catégorie de référence. Les forces d’associations ont été exprimées par des rapports de prévalences (RP). La relation entre l’âge maternel et la séroprévalence de la toxoplasmose étant différente selon la nationalité (interaction significative entre âge maternel et nationalité), les analyses multivariées ont été stratifiées sur la nationalité.

Les logiciels Stata® 12 (StataCorp, États-Unis) et R 3.1.2 (The R Foundation for Statistical Computing) ont été utilisés pour l’analyse statistique.

Résultats

Les ENP réalisées en 1995, 2003 et 2010 ont inclus respectivement 13 631, 15 108 et 15 418 femmes, soit un échantillon total de 44 157 femmes. Le statut sérologique des mères vis-à-vis de la toxoplasmose était inconnu ou non réalisé dans 2,8% des cas. Au total, les analyses ont porté sur 42 916 (97,2%) femmes en fin de grossesse pour lesquelles le statut sérologique était renseigné, dont 13 094 (96,1%) en 1995, 14 704 (97,3%) en 2003 et 15 118 (98,1%) en 2010.

Enquête nationale périnatale 2010

En 2010, l’âge maternel moyen était de 29,7 ans (min 12 ans, max 50 ans) et la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes était de 36,7%.

En analyse univariée, elle variait selon les caractéristiques sociodémographiques des femmes : elle augmentait significativement avec l’âge : 23,3% chez les moins de 20 ans et 48,4% entre 35 et 39 ans (p<0,001) et le nombre de grossesses (p<0,001). Elle variait également avec le niveau d’études (p=0,004) des mères, avec une séroprévalence plus élevée chez les femmes à niveau d’études inférieur ou égal au primaire (40,2%) ; la région de résidence (p<0,001), avec des séroprévalences élevées en Outre-Mer (45,4%) et en Aquitaine (44,2%), et des régions à séroprévalence plus faible, comme la Champagne-Ardenne (25%) ou l’Alsace (25,7%) ; ainsi qu’avec la nationalité (p<0,001), avec une séroprévalence plus élevée chez les femmes originaires d’Afrique du Nord (RP=1,20 ; intervalle de confiance à 95%, IC95%:[1,10-1,31]) et d’Afrique subsaharienne (RP=1,40 ; IC95%:[1,27-1,54]) par rapport aux femmes de nationalité française (tableau 1).

Tableau 1 : Caractéristiques des femmes enceintes et séroprévalence de la toxoplasmose selon les caractéristiques étudiées, France, Enquête nationale périnatale 2010
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En analyse multivariée, après stratification selon la nationalité et après ajustement sur les autres variables, la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes de nationalité française augmentait significativement avec l’âge (p<0,001) et était associée aux régions et aux zones d’étude et d’aménagement du territoire (Zeat) (p<0,001). Les zones géographiques associées à une séroprévalence basse de la toxoplasmose étaient les zones Est (Alsace, Franche-Comté, Lorraine) (RP=0,77 ; IC95%:[0,68-0,86]), Centre-Est (Auvergne, Rhône-Alpes) (RP=0,76 ; IC95%:[0,69-0,84]) et Ouest (Bretagne, Pays de la Loire, Poitou-Charentes) (RP=0,90 ; IC95%:[0,82-0,99]). Les zones géographiques associées à une séroprévalence élevée étaient les zones Sud-Ouest (Aquitaine, Limousin, Midi-Pyrénées) (RP=1,21 ; IC95%:[1,11-1,33]), Méditerranée (Languedoc-Roussillon, Provence-Alpes-Côte d’Azur, Corse) (RP=1,10 ; IC95%:[1,01-1,21]), Région parisienne (Île-de-France) (RP=1,21 ; IC95%:[1,13 -1,30]) et Outre-Mer (Guadeloupe, Martinique, Guyane, Mayotte) (RP=1,38 ; IC95%:[1,23-1,55]).

Chez les femmes originaires d’Afrique du Nord, seul l’âge était associé à la séropositivité (p=0,002). Aucune association significative n’a été observée chez les femmes originaires d’Afrique subsaharienne (tableau 2).

Tableau 2 : Facteurs associés à la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes, France, Enquête nationale périnatale 2010, analyse multivariée stratifiée selon la nationalité
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Évolution de la séroprévalence de la toxoplasmose entre 1995 et 2010

En 2010, les femmes enceintes étaient en moyenne plus âgées qu’en 2003 (29,7 ans vs 29,2 ans ; p<0,0001) et, en 2003, elles étaient en moyenne plus âgées qu’en 1995 (29,2 ans vs 29,0 ans ; p<0,001). La distribution des femmes enceintes selon leur niveau d’études était différente dans les trois ENP. Il y avait une plus grande proportion de femmes ayant un niveau d’études équivalent au collège dans l’ENP 1995 (41,1%) qu’en 2003 et en 2010. Dans l’ENP 2010, plus de 42% des femmes avaient un niveau d’études supérieur au Bac (p<0,001). La distribution des femmes selon les régions était comparable d’une enquête à l’autre. Les femmes de nationalité française représentaient plus de 80% de l’échantillon dans chacune des enquêtes. Les femmes originaires d’Afrique subsaharienne étaient plus nombreuses en 2010 qu’en 1995 (2,6% vs 1,8%) alors que la proportion des femmes originaires d’Afrique du Nord était inchangée (environ 4% dans chacune des enquêtes).

La séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes a diminué au cours du temps : elle était respectivement de 54,3%, 43,8% et 36,7% en 1995, 2003 et 2010. Cette diminution entre 1995 et 2010 était de 19% (55,4% vs 36,4%) chez les femmes de nationalité française alors qu’elle n’était que de 2,7% (51% vs 48,3%) chez les femmes originaires d’Afrique du Nord. On notait en revanche une augmentation de 8,8% (42% vs 50,8%) chez les femmes originaires d’Afrique subsaharienne.

En analyse multivariée, il existait une interaction entre l’âge et l’année de l’ENP. Cette nouvelle interaction s’ajoutait à celle précédemment décrite entre l’âge et la nationalité. Il existait donc une interaction triple entre l’âge, la nationalité et l’année de l’ENP : en plus d’être différente d’une nationalité à l’autre, la relation entre l’âge et la séroprévalence de la toxoplasmose n’était pas la même selon les années d’enquêtes pour chaque nationalité. Les analyses ont donc été stratifiées selon l’année de l’enquête et la nationalité.

Chez les femmes de nationalité française, le niveau d’études était significativement associé à la séropositivité en 1995 et 2003 (p=0,04) mais pas en 2010. L’âge et la région de résidence étaient significativement associés à la séropositivité dans les trois enquêtes (p<0,001) (tableau 3). Il existait une relation croissante entre l’âge et la séroprévalence de la toxoplasmose, différente selon l’année de l’enquête (figure 1). Il existait également un gradient géographique est-ouest de séroprévalence, les régions Franche-Comté, Alsace et Lorraine ayant les niveaux de séroprévalence les plus faibles (figure 2). Si les séroprévalences régionales ont diminué au cours des trois enquêtes entre 1995 et 2010, ce gradient, déjà observé dans les ENP 1995 et 2003, a également été observé en 2010.

Chez les femmes originaires d’Afrique du Nord, seul l’âge était significativement associé à la séropositivité en 2010 (p=0,002), et aucune autre association significative n’était observée dans les trois enquêtes. Aucun facteur associé à l’infection n’a été observé chez les femmes originaires d’Afrique subsaharienne au cours des trois enquêtes.

Tableau 3 : Facteurs associés à la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes de nationalité française, France, Enquêtes nationales périnatales 1995, 2003, 2010, analyse multivariée
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Figure 1 : Séroprévalence de la toxoplasmose selon l’âge chez les femmes de nationalité française, ajusté sur le niveau d’études et la région. France, Enquêtes nationales périnatales (ENP) 1995, 2003 et 2010*
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Figure 2 : Évolution de la séroprévalence régionale de la toxoplasmose (en %) chez les femmes enceintes entre 1995 et 2010. France, Enquêtes nationales périnatales (ENP)
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Discussion

La séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes a diminué entre 1995 et 2010, passant de 54,3% à 36,7%. Elle est significativement associée à l’âge, à la région de résidence et à la nationalité. Ces résultats sont concordants avec les données déjà publiées. L’augmentation de la séroprévalence avec l’âge est un résultat attendu pour une pathologie immunisante associée à un taux de mortalité faible, et l’association avec la région de résidence et la nationalité avait déjà été décrite chez les femmes enceintes en 1995 et 2003 8,9,18.

La réduction de la séroprévalence au cours du temps a été observée dans toutes les régions. Les disparités régionales de séroprévalence observées pourraient être expliquées par les variations climatiques et des différences de comportements alimentaires selon les régions. Cette association climatique avait été suggérée en 2009, les séroprévalences élevées dans le Sud-Ouest de la France apparaissant corrélées au climat tempéré et humide de cette région, favorisant la conservation des oocystes dans le sol, par comparaison avec l’Est (région à séroprévalence faible) où les températures sont plus basses 9. La réduction de la séroprévalence de la toxoplasmose au cours du temps n’est à l’évidence pas unifactorielle, mais liée à la conjonction de plusieurs facteurs comme l’amélioration des mesures d’hygiène alimentaire, individuelles ou industrielles, les modifications des comportements alimentaires humains (augmentation de la cuisson à cœur des viandes chez les femmes enceintes, baisse de près de 30% de la consommation de viandes ovines observée en France entre 1990 et 2011 19) ou chez les chats (davantage nourris avec des croquettes qu’avec de la viande crue 20).

L’association de la séroprévalence avec la nationalité ou le pays de naissance est un élément intéressant, mais d’interprétation délicate. Chez les femmes enceintes, la séroprévalence de la toxoplasmose apparaît plus élevée chez les femmes d’origine africaine : 43,8% pour les femmes originaires d’Afrique du Nord et 50,7% pour celles originaires d’Afrique subsaharienne. Des résultats similaires ont été observés en 2010 dans une étude de séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes espagnoles et migrantes en Espagne 21. Différentes études de séroprévalence menées chez les femmes enceintes en Afrique ont montré des résultats variables selon les pays. Ainsi, au Burkina Faso en 2011, la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes était de 31% 22 ; au Nigeria, elle était de 50,8% chez celles âgées de 25 à 30 ans 23 ; et en Tunisie, elle était de 47,7% chez les femmes enceintes âgées de 16 à 48 ans en 2010 24.

En 2009, dans la population générale française, la séroprévalence de la toxoplasmose était de 56,5% chez les personnes nées en Afrique du Nord et de 51% chez les personnes nées en Afrique subsaharienne (enquêtes Saturn-Inf et Séro-Inf). L’hétérogénéité de séroprévalence observée entre différentes nationalités ou pays de naissance pourrait s’expliquer par une exposition plus précoce ou plus grande des individus dans leurs pays d’origine. Ainsi, en Tunisie, une étude réalisée en 2010-2011 auprès de 2 351 femmes enceintes âgées de 16 à 48 ans n’a montré aucune association entre l’âge et la séroprévalence de la toxoplasmose et suggère l’hypothèse d’une contamination plus importante des femmes avant l’âge de 20 ans 24.

La diminution de la séroprévalence de la toxoplasmose chez les femmes enceintes, déjà constatée entre 1995 et 2003, s’est confirmée en 2010, et les modélisations d’incidence réalisées suggèrent que cette baisse devrait se poursuivre dans les années à venir 25. Compte tenu de l’augmentation de la population des femmes enceintes séronégatives amenées à être suivies mensuellement, une réévaluation de la pertinence du programme de dépistage actuellement recommandé en France doit être discutée. Un éventuel changement de stratégie devra notamment prendre en compte le rapport coût/efficacité de la poursuite de la stratégie actuelle ainsi que l’évolution de l’incidence des toxoplasmoses congénitales. Quelle que soit la stratégie de dépistage retenue, il reste fondamental de continuer à promouvoir les mesures de prévention à respecter pendant la grossesse et de s’assurer de leur bonne compréhension et application par les femmes enceintes.

Remerciements

À Béatrice Blondel (Inserm UMR 1153) et Isabelle Villena (Centre national de référence de la toxoplasmose, CHU de Reims).

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Citer cet article

Tourdjman M, Tchéandjieu C, De Valk H, Goulet V, Le Strat Y. Toxoplasmose chez les femmes enceintes en France : évolution de la séroprévalence et des facteurs associés entre 1995 et 2010, à partir des Enquêtes nationales périnatales. Bull Epidémiol Hebd. 2015;(15-16):264-72. http://www.invs.sante.fr/beh/2015/15-16/2015_15-16_5.html