Tuberculose
Traitement et prévention
>Contexte
La recrudescence de l'incidence de la tuberculose [1]
ainsi que les épidémies de tuberculoses nosocomiales, surtout aux Etats-Unis
mais aussi en France [2] [3] amènent à reconsidérer les modalités de
protection et de surveillance du personnel de santé.
Une vigilance accrue doit être accordée aux services ayant vocation
d'accueillir des malades à risque de tuberculose, en particulier ceux où
peuvent émerger des multirésistances, bien que ce problème n'atteigne pas, en
France, l'ampleur d'autres pays [4].
Les textes sur lesquels se basent les médecins du travail pour la
surveillance médicale des personnels vis-à-vis de la tuberculose sont les
suivants :
- dans les établissements de soins publics, le décret du 16 août 1985 sur
la médecine du travail prévoit : une épreuve cutanée à la tuberculine
et une radiographie pulmonaire obligatoires à l'embauche, en complément de
la visite médicale ; ensuite un examen clinique annuel pour tous les
agents, à répéter plus fréquemment en cas de risques particuliers.
Notons que la surveillance des médecins hospitalo-universitaires et des étudiants
en médecine incombe à la médecine préventive universitaire et non à la
médecine du travail de l'hôpital où ils exercent : ceci n'est pas sans
poser problème pour l'évaluation du risque et la régularité du suivi ;
- pour les personnels de santé du secteur privé, la radiographie de thorax
n'est plus obligatoire et seul un examen clinique annuel s'impose comme pour
les autres catégories professionnelles. Aucune surveillance spéciale n'est
prévue contrairement à ce qui est exigé pour d'autres travaux (arrêté
du 11 juillet 1977).
D'autre part, l'article L. 215 du Code de santé publique (loi n°94-43 du 18 janvier 1994, le décret n° 96-775 du 5 septembre 1996 et l'arrêté du 5 septembre 1996) prévoit une vaccination obligatoire par le B.C.G. pour le personnel des établissements de santé publics ou privés : en cas de réactions tuberculiniques négatives même après deux vaccinations par le B.C.G. réalisées par injections intradermiques, seul le médecin du travail pourra estimer qu'une nouvelle vaccination est inutile en cas de forte exposition au risque de tuberculose.
La tuberculose est reconnue comme maladie professionnelle pour les personnels de soins et de laboratoires dans le régime général de la Sécurité sociale (tabl. n° 40). Le mode de prise en charge est différent pour la Fonction publique hospitalière : on parle alors de maladie imputable au service, imputabilité reconnue, après examen du dossier, par les commissions de réforme départementales. Lorsque la tuberculose donne lieu à un congé de longue durée, c'est le comité médical supérieur (à l'échelon national) qui se prononce. Enfin, l'Assistance publique - Hôpitaux de Paris (A.P.-H.P.) est autonome avec son propre système de reconnaissance.
Cette diversité des modes de prise en charge rend difficile le
recensement des cas de tuberculose-maladie professionnelle :
- pour le secteur privé, le nombre total des déclarations concernant des
personnels de santé est disponible à la Caisse nationale de l'assurance
maladie, soit une vingtaine de cas par an (1989-1990) ;
- concernant le secteur public hors A.P.-H.P., il n'existe, à notre
connaissance, aucun recueil centralisé des cas reconnus par les Commissions
de réforme pour les titulaires de la Fonction publique hospitalière :
seuls sont disponibles le nombre de cas ayant fait l'objet d'une demande
auprès du Comité médical supérieur, soit 10 cas par an (1988-1992).
A l'A.P.-H.P. (environ 60 000 paramédicaux), d'après les rapports
annuels des médecins du travail, 94 tuberculoses ont été déclarées en
maladie professionnelle de 1987 à 1992, parmi le personnel hospitalier, médecins
exclus (en moyenne un peu plus de 15 cas par an sans tendance à la
diminution).
Si l'on s'en tient à ces chiffres, le risque semble bien faible. Cependant,
il existe probablement une sous-déclaration en particulier dans le secteur
privé et parmi les médecins : la situation des personnels de santé libéraux
et des étudiants n'est pas connue. D'autre part, le nombre de tuberculoses
non rattachées à leur origine professionnelle n'est peut-être pas négligeable,
quand on sait qu'une tuberculose-maladie peut se développer plusieurs années
après l'infection primaire, l'agent n'étant plus exposé au risque, voire
en retraite [5], et que le délai de prise en
charge prévu au tableau n° 40 est de 6 mois [6]
[7] [8].
Certaines études montrent une incidence augmentée par rapport à la population générale du même âge : à l'A.P.-H.P., l'incidence annuelle est de 40 / 100 000 ; à Marseille, une enquête réalisée en 1984 trouve une incidence de 45 / 100 000 ; enfin, une étude canadienne estime que l'incidence de la tuberculose chez les infirmières est le double de celle de la population générale.
Avant de se préoccuper du suivi médical, il faut souligner l'importance
de la prévention primaire,limiter l'exposition du personnel est une
priorité :
- en identifiant et en traitant rapidement les malades tuberculeux
contagieux ;
- en appliquant rigoureusement les mesures d'isolement aérien :
hospitalisation des malades en chambre seule dès suspicion, limitation de
leurs déplacements, fermeture des portes des chambres, port de masques
adaptés, ventilation correcte.
Ces mesures ont été rappelées dans la circulaire D.G.S./D.H. n° 69 du
29 octobre 1993 relative à la prévention de la transmission dans les lieux
de soins. Il nous paraît essentiel d'insister sur l'importance de
l'information et de la formation du personnel dans ces domaines.
D'autre part, pour une bonne adhésion aux mesures de protection, il faut
tenir compte, lors de leur mise en place, de la surcharge de travail que
cela peut représenter pour les soignants : des problèmes de tolérance que
peuvent poser certaines protections (à évaluer pour les masques, par
exemple).
Surveillance et prévention médicales pour le personnel
Un examen d'embauche de référence
Sa pratique nécessite un personnel parfaitement entraîné et un
respect rigoureux des conditions de réalisation. La lecture obéit également
à certaines règles : réalisée à 72 heures, si possible toujours par
la même personne, formée à son interprétation, qui mesure
l'induration en millimètres. Soulignons la nécessité d'informer de
ces règles non seulement les médecins du travail, mais aussi les médecins
traitants qui établissent les certificats exigés pour débuter des études
médicales et paramédicales : on trouve trop souvent des résultats
d'I.D.R. sans mensuration ; des revaccinations par bague sur la foi d'un
test cutané par multipuncture négatif, chez un jeune adulte déjà
plusieurs fois vacciné par cette méthode.
Le résultat de l'I.D.R. sera consigné précisément dans le dossier médical.
Il ne pourra servir de base dans le cadre d'une surveillance ultérieure
que si figure également l'histoire tuberculeuse éventuelle et le (les)
B.C.G. antérieurement pratiqués (dates + techniques + résultats de
contrôles post-vaccinaux), ce qui manque souvent.
Le problème, plus fréquent, est celui de l'opportunité de
revacciner un adulte, dont l'I.D.R. est redevenue négative 10-20 ans
après un B.C.G. (8 % parmi 204 élèves infirmières (E.I.) à leur
entrée ; 4 % parmi 280 soignants de services à haut risque). Rien ne
permet d'ailleurs d'affirmer que cette négativation signifie
disparition de la protection post-vaccinale [8]
[11]. D'autre part, aucune étude n'est
disponible sur le bénéfice d'une revaccination à l'âge adulte.
Certains considèrent qu'avoir eu un B.C.G. bien administré suffit.
Cependant, les études concluant à une efficacité du B.C.G. montrent
que cette dernière se réduit à distance de la vaccination :
l'incidence des nouveaux cas chez les vaccinés tend à rejoindre celle
des témoins non vaccinés au bout d'une quinzaine d'années [13] [15] [16] [17].
Avant d'administrer un B.C.G., il faut vérifier que l'I.D.R. est
vraiment négative : on s'assure d'abord qu'elle a été correctement réalisée
et qu'il n'y a pas de cause d'anergie transitoire (cf. causes des faux-négatifs
en annexe 1). Dans le doute, renouveler l'I.D.R. au bout de quelques
mois. Une immunodépression qui contre indiquerait un B.C.G. doit également
être éliminée.
D'autre part, les réactions tuberculiniques ayant tendance à se négativer
avec l'âge, certains auteurs, en particulier aux U.S.A., préconisent
une méthode en 2 temps visant à réveiller l'hypersensibilité cutanée,
à entraîner un effet "booster" pour éviter les faux négatifs
: les personnes dont l'I.D.R. est négative sont retestées une semaine
après [9] [21]
[22] [23].
Ainsi dans l'étude de Sépulveda et coll., 27 % d'étudiants vaccinés
dans l'enfance, dont l'I.D.R. est négative, se positivent au 2ème test
[21]. Une telle méthode pourrait être
envisageable avant revaccination lors de l'embauche. Soulignons néanmoins
la difficulté de sa réalisation pratique.
La seule méthode fiable chez l'adulte est la voie intradermique.
Comme pour l'I.D.R., elle nécessite une technique parfaite. En cas de négativité
persistante, si le B.C.G. est bien réalisé, il est inutile de le répéter
plus d'une fois. Le contrôle de l'I.D.R. ne doit pas avoir lieu trop tôt
: si possible, délai minimum de 6 mois [11]
[26].
Une anergie persistante après B.C.G. intradermique correctement réalisé
existe chez environ 2% des personnes vaccinées (2 % des élèves
dans notre étude). Le problème est de savoir s'il faut éviter
d'affecter ces agents dans des services à haut risque. Les cas de
tuberculose ne seraient pas plus fréquents mais plus graves chez ces
personnes. A l'heure actuelle, on ne dispose d'aucune étude chez
l'homme permettant de confirmer cette hypothèse. On ne dispose que de
données concernant des lignées de souris qui ont la capacité innée
d'empêcher la multiplication initiale du B.C.G. et qui, secondairement,
résistent moins bien que les souris sensibles au B.C.G., à un inoculum
de M. tuberculosis [13]. Mais
peut-on extrapoler ces résultats expérimentaux à l'homme ?
Dans le doute et en l'attente d'études à réaliser chez les personnels
de santé permettant de conclure, il serait souhaitable de ne pas
affecter ces agents dans des services à haut risque. Mais, avant une
telle décision, il est impératif de s'assurer que le B.C.G. a vraiment
été bien fait, tout comme l'I.D.R. de contrôle et de vérifier qu'il
ne s'agit pas d'une anergie transitoire. Si une autre affectation ne
peut être envisagée, il est alors impératif que ces personnes bénéficient
d'une surveillance médicale particulièrement vigilante.
Une surveillance régulière
Une conduite à tenir en cas de contage
Evaluation du risque
C'est au médecin du travail de déterminer la fréquence et le mode de
surveillance en évaluant l'exposition des soignants. L'idéal serait de
pouvoir étudier chaque poste de travail et d'adapter la surveillance aux
risques de chacun, risques qui dépendent, au sein d'un même service, du
poste occupé. Là encore, pour des raisons de faisabilité pratique, il
nous semble préférable de simplifier en raisonnant en terme de service à
risque, tout comme pour la mise en place des mesures de prévention
technique [31].
Pour classer les services en fonction du risque, le médecin du travail
se basera sur les paramètres suivants :
- les données du recensement des cas de tuberculose dans l'établissement,
dont il doit être informé, en liaison avec le C.L.I.N. [32] ;
- les malades accueillis : la réceptivité (immunodéprimés. patients
infectés par le V.I.H.), l'existence d'un risque d'émergence de multirésistance
;
- les caractéristiques des postes : endoscopie, aérosols, laboratoires de
bactériologie...
En fonction de ces différents facteurs, on peut schématiquement
opposer 2 types de services :
- risque faible : rares malades bacillifères dans l'année ; peu de
patients immunodéprimés, pas de technique génératrice d'aérosols ;
- risque important :
* nombreux malades bacillifères, patients à risque de multirésistance et
nombreux malades immunodéprimés, en particulier infectés par le V.I.H.,
* services ayant recours à des techniques à risque : endoscopie,
laboratoires de microbiologie.
- il existe évidemment des situations intermédiaires où le risque est
modéré, appelant la vigilance du médecin du travail qui décidera de
rattacher ces services à l'un ou l'autre type pour la surveillance. Il
surveillera l'évolution de la situation du service, le risque pouvant se
modifier.
En outre, il tiendra compte de facteurs de risque individuels : antécédents
tuberculeux, immunodépression.
Conduite à tenir
Services ayant une forte prévalence de malades tuberculeux et/ou réalisant
des techniques à risque
Pour les personnels de ces services à haut risque, les contages potentiels
peuvent être très fréquents. Les signalements systématiques de chaque
cas ont alors peu d'intérêt sauf en cas d'enquête particulière (épidémie
nosocomiale, multirésistance). Il est donc préférable de prévoir pour
ces agents une surveillance médicale rapprochée, au mieux
semestrielle, avec radio de poumons annuelle en insistant sur l'importance
de vérifier que ces agents la font bien. C'est pour ces services que se
justifie le maintien d'un dépistage radiologique. Il faut bien
informer les agents de l'intérêt de cette surveillance et de l'importance
de consulter en cas de symptômes.
En cas d'affectation dans ce type de service de sujets anergiques malgré
B.C.G. correctement réalisé, il faut surveiller annuellement leur réactions
tuberculiniques. Il en est de même pour ceux dont l'I.D.R. se négative en
cours de carrière, en l'absence de revaccination. En dehors de ce contexte,
la surveillance de l'I.D.R. n'a qu'une valeur d'appoint, d'autant que les
agents en contact régulier avec des tuberculeux ont fréquemment des réactions
très positives rendant le suivi de l'I.D.R. ininterprétable (plus de 17 %
des agents de 6 services à risque ont des I.D.R. > 20 mm).Néanmoins,
pour les personnes ayant des réactions tuberculiniques normalement
positives, le contrôle de l'I.D.R. tous les 2 à 3 ans peut se discuter
afin de dépister les négativations si l'on pense utile de revacciner et
les variations importantes de diamètre qui peuvent signifier surinfection.
Dans ce dernier cas, même si le bilan complémentaire est normal, c'est
l'occasion de sensibiliser le soignant quant à l'importance d'être régulièrement
surveillé et de consulter en cas de symptômes, afin de diagnostiquer
rapidement une tuberculose-maladie. Ces soignants peuvent avoir un risque
accru de faire, à la faveur d'une baisse de l'immunité, une tuberculose
par réactivation endogène, surtout quand ils seront âgés [34].
EN RESUMÉ : la surveillance doit reposer avant tout sur les visites médicales annuelles, voire semestrielles en fonction de l'évaluation du risque. Le dépistage radiologique annuel systématisé doit être maintenu dans les services à risque. L'I.D.R. ne doit pas être systématique et n'a qu'une valeur d'appoint.
Moyens
Il faut classer les risques infectieux selon les expositions nécessitant une surveillance
médicale spéciale. Une telle disposition est prévue dans un décret qui
va bientôt paraître transposant en droit français les termes de la directive
C.E.E. du 26 novembre 1990 sur la prévention des risques biologiques [34]. Cela nécessitera un capital temps accru pour
le médecin du travail et son équipe afin de permettre non seulement la
surveillance clinique des personnels mais aussi l'action en milieu de soins :
rappelons qu'il est prévu 1 médecin du travail pour 1 500 personnes en milieu
hospitalier public.
Il faudrait également se préoccuper de la surveillance des agents impliqués
dans la prise en charge extra-hospitalière des malades (aides ménagères.
bénévoles, etc.).
Formation et information du personnel
L'évaluation et la maîtrise du risque impose la participation active de tous les acteurs de l'unité de soins ou du laboratoire. Les services recevant de façon habituelle des patients tuberculeux peuvent avoir tendance à banaliser le risque. A l'inverse, les unités accueillant très épisodiquement ce type de malades réagissent parfois de façon démesurée et inadaptée. C'est dire l'importance de l'information et de la formation des équipes soignantes. Il est du rôle du médecin du travail d'y participer en collaboration avec les responsables de services, le C.H.S.C.T. et le C.L.I.N.
L'élaboration d'une brochure simple à remettre aux personnels de santé, en particulier lors de l'embauche, pourrait être un premier support d'information.
Experts consultés : Prs J. Ameille(1), J. Chrétien (2), B. Dautzenberg
(3), J. Grosset (4), P. Lagrange (5).
Remerciements pour relecture et commentaires aux docteurs : E. Bouvet (5), J.-C.
Désenclos (7), A. Leprince (8), C. Moyse (9), C. Perrone (10), V. Schwoebel
(4).
(1) Service de pathologie professionnelle, hôpital Raymond-Poincaré, Garches ; (2) Union internationale contre la tuberculose et les maladies respiratoires, Paris ; (3) Service de pneumologie, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris ; (4) Centre national de référence pour la surveillance de la tuberculose et des infections à mycobactéries atypiques, hôpital Pitié-Salpêtrière, Paris ; (5) Service de microbiologie, hôpital Saint-Louis, Paris ; (6) Clinique de réanimation et des maladies infectieuses, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris ; (7) Réseau national de santé publique, Saint-Maurice ; (8) Institut national de recherche et de sécurité, Paris ; (9) Direction générale de la Santé, Paris ; (10) Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpital Bichat-Claude-Bernard, Paris.
RÉACTIONS FAUSSEMENT POSITIVES OU NÉGATIVES
Les différentes causes
Références bibliographiques
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